Nouveau récit de vie – Texte de Olympe de Joug : « La petite fille aux volants »
Ce matin. Sur le quai de la gare. Une petite fille dans les 6 ans. Elle marche comme une mannequin. Sa mère la gronde. Elle s’en moque et fait virevolter sa jupe. Deux ou trois personnes assises regardent mollement le spectacle qui est donné à voir, rompant la monotonie de l’attente d’un train en grève. Elle continue, on croirait qu’elle est dans son monde, elle ne se soucie pas de ces regards posés sur elle, elle ne les cherche pas, elle ne les fuit pas. Tout simplement ils n’existent pas. Elle tient son rôle de mannequin, et elle s’amuse. Elle ne se pose pas de question, est ce qu’elle est belle, est-ce qu’elle est intelligente, est-ce qu’on l’aime ? Non, elle fait virevolter sa jupe, elle est aussi légère que ses volants.
Brutalement, je me rappelle que moi aussi j’ai été cette petite fille. A quel moment ai-je cessé de l’être ?
Avril 1989. A mon habitude, je grimpe sur le muret derrière les rosiers. Mon arrière grand-mère a été enterrée hier. Maman prépare le repas, Papa bouquine. Je romps ma solitude en inventant toutes sortes de personnages. Ce soir, je suis chanteuse et j’ai des pouvoirs magiques.
Seule, du moins je crois, je donne un concert à tous mes fans qui m’acclament, ils sont des milliers, autant que les petits graviers qui parsèment la cour. J’ai placé une écharpe sur ma tête, d’ailleurs ce n’est pas une écharpe mais des cheveux longs, très longs, éclatants. Au dernier refrain de ma chanson (paroles imaginaires, du gromelot dirait-on au théâtre), alors que je danse et que je chante avec frénésie sur mon muret de scène, je m’apprête à saluer les petits cailloux mes fans quand soudain une meute d’enfants cachés derrière les hautes grilles de la cour se met à applaudir et à pouffer de rire. Surprise, terrifiée, je dégringole du muret, mes cheveux tombent, je suis rouge écarlate. Je fuis en courant le théâtre de ma honte.
« On mange » crie ma mère.
Je plonge les yeux dans mon assiette et je me tais.
Ce matin, sur le quai de la gare, avec cette petite fille en moi, et cette autre près de moi, j’ai imaginé ce qui se serait passé si j’étais allé voir les autres enfants.
Le 18 JUIN Olympe de Joug